ISI

Canal synthétique de la IIème Internationale Situationniste Immédiatiste.

dimanche 18 août 2013

ISI : communiqué 1-2013. Notre non, ou Sur le caractère trompeur des formes de lutte pour la liberté.

(Un monde parfait)



Nous avons une certaine vue distante sur le monde moderne et sur la résistance qu'il rencontre. Une certaine lassitude aussi à voir se reproduire les mêmes comportements et les mêmes renforcements qu'ils induisent sur les forces idéologiques dominantes.

En tant que système social, et sans manifester plus de subtilité qu'un système social étudié par des ethnologues au fond d'une forêt originaire, la société moderne se donne une identité positive à ses propres yeux en se construisant des ennemis. En termes situationnistes, la société moderne construit un récit de soi – récit en puissance d'être le récit de soi de tout homme qui se reconnaît ensuite en elle – dans laquelle elle est « le Bien » affrontant « le Mal ». Ou encore, les bons affrontant des méchants.

Il est à noter que posséder le monopole de la définition légitime de « l'homme bon » - construire le modèle, produire et diffuser les signes qui instituent socialement les modèles comme modèles désirables par tous – posséder le monopole de la morale passe par la possession du monopole de la violence physique légitime, pour reprendre la définition de l’État par le sociologue allemand Max Weber. Il est d'ailleurs évident à l'observateur que le monopole de la définition du légitime permet de rendre n'importe quel acte légitime, et que le monopole de la violence et le monopole de l'édiction publique de la morale sont étroitement liés en politique.

Pour autant, le monopole de l'édiction de la morale ne peut pas plus être assuré que celui de la violence légitime : dans la réalité, il existe une lutte permanente, une contestation permanente de la représentation dominante de « l'homme bon ». L'édiction de la morale en effet, l'édiction de ce qui est désirable, bon et juste, est une hiérarchisation de la société, entre les excellents qui doivent régner, les normaux, et les mauvais à qui l'enfer de la répression est ouvert. Et il n'est pas d'enjeux plus importants dans la vie humaine que la reconnaissance.

De manière générale, traduisent les penseurs modernes, les hommes sont en quête de reconnaissance par la société, et tâchent d'imposer les valeurs qui leurs sont, individuellement ou par groupes sociaux, les plus favorables. Les classes manuelles par exemple, respectent plus la force physique que les classes tertiaires, qui y perdraient, et sont donc plus favorables au refus de la violence. Un effet comique habituel est de faire dénigrer la beauté physique par une personne très laide, par exemple. La sincérité du dénigrement passe en hypocrisie du déni de l'humiliation déjà vécue.

Pour que cette contestation porte sur les idées et les valeurs plutôt que sur la violence – ce qui est la porte ouverte à la guerre civile – l'homme bon moderne permet la constitution d'un espace de discussion, où vont sans cesse se nouer des compromis entre individus et entre groupes : c'est toute la tolérance moderne. En théorie donc, « l'homme bon » des modernes accepte la discussion. De ce fait il existe de très nombreux spectacles de débats parmi toutes les représentations du monde moderne par lui-même – pour autant, il semble que jamais rien de décisif n'y vienne à jour, tant l'homogénéité idéologique de notre époque est frappante.

Cette homogénéité idéologique libérale si sensible en Europe pourrait être due à la raison humaine, tellement bien partagée selon Descartes, et à la liberté de discussion ; mais pour croire cette heureuse fable – tout allant pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles - il faudrait aussi s'aveugler sur la réalité de l'existence d'une propagande et d'une idéologie officielle des organes politiques dominants, qui sont tout autant l’État et l'Université, ou encore les Écoles, que les entreprises dominantes, particulièrement dans la communication. En réalité, le caractère rationnel de l'idéologie moderne se base sur la force d'une domination générale d'un monde, comme le caractère global et rationnel de la Somme théologique de Thomas d'Aquin se basait sur une domination du monde. Il n'est pas étonnant qu'un monde organisé par l'homme soit largement rationnel – mais la raison est plastique et plurielle, puissance de mille pensée, et non autorité rigide de la pensée unique.

Dans le monde moderne en effet « les bons » se représentent avec les qualités essentielles de leur représentation de l'homme moderne : tolérant, démocrate, généreux, partisan et artisan de libertés et de libération, courageux contre les tyrannies, etc. Ajoutons à cela jeune et d'un physique avantageux si possible, avec une belle chemise, mieux encore issu d'une minorité opprimée, comme les femmes ; et nous aurons le portrait d'une Femen idéale. Si nous prenions les anciens Zoulous, nous aurions la vélocité et le courage parmi les qualités essentielles, et un jeune guerrier comme modèle : le monde moderne n'offre structurellement rien de nouveau à l'humanité.

Ce qui est ironique pour ce qui concerne les modernes, c'est que le maintien de cette image d'eux-même comme les « bons », rationnels et prêts à discuter à l'infini, passe comme le maintien de toute représentation dominante par l'exercice régulier et appuyé de l'argument d'autorité et du catéchisme bêtifiant, voire par une bonne dose d'hypocrisie et de mensonge. Le modèle le plus abouti et le plus intégré d'une civilisation ne peut être réalisé sans un solide fond de bêtise et de narcissisme – le doute et l'ironie envers soi-même signant une subtilité supérieure et une imperfection totalitaire.

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Il en est de même de la construction culturelle, universelle, de « l'homme mauvais. »

Pour la « bonté » des modernes comme pour tous les autres hommes, toute constitution culturelle d'un modèle des bons appelle un modèle des méchants. C'est une propriété de la sémantique, ou science du sens, la plus universelle : si l'homme tolérant, démocrate, généreux est bon, l'homme opposé, intolérant, partisan d'une tyrannie, et hostile aux autres est mauvais. Cet homme mauvais construit par l'acte de construire le profil de l'homme bon est aussi mauvais pour les apôtres de la tolérance que pour l'Inquisition, même si le profil est différent. L'homme mauvais de l'inquisition est l'hérétique, le marrane, le sorcier ; on lui prête toute sortes de traits inquiétants, nocturnes, pervers, on le soupçonne de s'en prendre au enfants, une sorte de saleté générale, quoique l'hérétique soit lâche et prêt à trahir. L'homme mauvais du monde moderne est dénommé le fasciste, ou encore l'intégriste : on lui prête de même toute sortes de traits inquiétants : stupide, fanatique, violent, alcoolique, raciste, lâche, il se plaît à assassiner en bande des innocents à cause de leur aspect qui, bien entendu, ne lui reviennent pas – il ne s'est pas regardé. Et l'inquisiteur moderne qui travaille en libéral est l'antifa : c'est un bon qui chasse les méchants, jusqu'au jour où le monde sera parfait, puisqu'il n'existera plus un seul méchant.

Comme toute civilisation, le monde moderne propose donc une place à ceux qui, comme Hannah Arendt, peuvent dire : I don't feet, je ne conviens pas. Cette place est celle du méchant. Tous les êtres faibles qui cherchent leur identité par opposition, tous les provocateurs vont se saisir des signes de la méchanceté. Ainsi Sid Vicious ou les motards arborant la croix gammée et la crasse, voire la stupidité. Les plus intelligents et les plus naïfs vont découvrir que la méchanceté et la bonté ne sont pas seulement des natures, mais aussi des constructions sociales, comme des féministes qui croient découvrir la lune en découvrant la construction sociale des rôles sexués. Et comme les féministes ou les antispécistes qui passent de la découverte de la construction sociale des rôles sexués ou animaux à leur condamnation morale – au motif immature que si une différence n'est pas naturelle comme il étaient assez naïfs pour le croire au début, elle doit être condamnée – ces opposants qui commencent à se reconnaître dans le portrait social du méchant vont vouloir réhabiliter des méchants historiques.

Ceux là proclament que Staline, Hitler, et j'en passe, ne furent pas aussi méchants qu'on le dit. L'inquisition a tué moins qu'on le dit. L'Allemagne nazie était organisée humainement et n'a pas voulu la guerre. Et toute sorte d'autres bourdes. On va toujours trouver quelque chose, une exagération, un témoignage enjolivé par le temps, et invoquer la Vérité. C'est le mécanisme du révisionnisme. Mais c'est complètement stérile : si tuer volontairement un enfant est un crime qui est inacceptable – si nous partageons l'interdiction antique de l'homicide sans motif – il est absolument vain de discuter du nombre de tués, ou de la manière dont on les a tués. Un était trop ; et il y en a eu tellement qu'on ne peut pas les compter, vous comprenez ? De telles discussions soit isolent ceux qui veulent les mener, soit divisent le corps social sur des discussions sans fin – mais jamais elles n'offrent de voies positives d'opposition politique ou éthique.

Il est également possible de poser que le portrait du méchant a été construit volontairement, et même est manœuvré par les « bons » pour détruire toute opposition. Mais l'essentiel consiste à comprendre que tout se passe dans la représentation, et que la réalité a peu d'importance. Si la réalité a peu d'importance, pourquoi faire des plans complexes, coûteux et risqués pour la créer de toute pièces ? Augmenter la probabilité qu'un drame arrive est suffisant, à la rigueur fermer les yeux sur des informations, sans pour autant organiser soi-même le drame.

Vouloir déconstruire le portrait du méchant en assumant la place du méchant est accepter la place assignée par le Système. Les marchands de sécurité ont besoin de voyous à cagoule, les antifas ont besoin de bons gros fas bien méchants. Bien sûr, prendre la place du méchant peut être courageux. Mais cela ne peut menacer un système de valeurs en place, à moins de prêcher le renversement de toutes les valeurs, comme firent les premiers chrétiens en proclamant modèle absolu de l'homme bon un criminel mort sur l'échafaud. Et cela n'aura pas lieu rapidement dans le monde moderne.

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Sun Tzu, stratège chinois, dit : tout l'art de la guerre est fondé sur la duperie.

Accepter le rôle du méchant de service, pour un opposant au monde moderne, est une duperie. Accepter de parler d'abord de sujets qui ne sont pas immédiats est une duperie. Je ne m'oppose pas au dérives du monde moderne pour demander une dictature éternelle, mais parce qu'il est une tyrannie qui avance masquée. Je ne m'oppose pas au capitalisme au nom d'une soif de sang, mais parce que je pense que l'homme est un animal politique, que la liberté démocratique est garantie par l'ordre politique, et donc que le politique doit reprendre la main sur les puissances d'argent, dans la fidélité aux Droits de l'Homme de 1789 et à la déclaration du Conseil National de la Résistance en 1944. Je ne m'oppose pas à la diffusion de l'idéologie du Genre parce que je hais les femmes, mais parce que cette idéologie voile massivement la réalité des rapports de propriété et d'argent, qui sont l'essence de l'exploitation moderne, bien avant toute fiction de genre ou de race – et que la principale fonction politique de l'idéologie du genre est justement ce divertissement de la réalité massive. .

C'est pourquoi je me désolidarise par avance de toute complaisance révisionniste, raciste, antisémite, complotiste ; de toute nostalgie assumée ou non pour les totalitarismes. C'est pourquoi je considère que la situation actuelle de la population française doit être tenue pour irréversible, et donc que la communauté politique doit être inclusive et en capacité d'intégrer les populations dans une patrie solidaire. C'est pourquoi je considère que le problème israëlo-palestinien ne peut être tenu pour central dans une restauration d'une pensée politique d'opposition réelle au capitaliste et à la destruction de la Nation et de l’État. La question relève des relations extérieures, et doit être traitée en tant que question de politique étrangère, avec raison et distance, et sans l'ambition utopique de créer définitivement un monde juste – et avec quelle définition de la justice ? C'est pourquoi enfin je considère qu'il faut dissocier la loyauté au régime, en fin de course, de celle due à l’État national, construit par l'histoire, et qui ne peut être discutée. La loyauté à l’État et à la Nation doit dépasser toute loyauté communautaire.

Tous les racismes n'ont jamais eu pour effet, comme l'antisionisme fanatique de certains modernes, de solidariser les peuples avec les dirigeants les plus corrompus, et d'empêcher les éléments intègres des communautés de s'exprimer sans paraître manquer de solidarité à leur nation.

C'est pourquoi aussi la condamnation de l'ordre capitaliste du travail ne peut devenir une apologie d'une vie immature, loin de la dureté d'assurer sa propre survie matérielle, assisté par les aides sociales, l'expression d'une compréhension pour le vol des fruits du travail, et un mépris des travailleurs.

Le seul effet de toutes ces complaisances est de se garantir une clientèle fidèle née de l'exclusion sociale et du ressentiment pour une part. C'est à la fois très important et mortel. Cela peut permettre de transformer un mouvement politique en entreprise rentable, assurant la vie de ses dirigeants ; mais cela exclut toute capacité à devenir comme furent les Lumières, une contre-idéologie dominante sapant réellement les bases symboliques du pouvoir en place, pouvoir à bout de souffle et sans grandeur. Il est remarquable de noter qu'aucun personnage de grande envergure des Lumières n'a accepté le rôle d'ennemi de l’État ou de la Nation.

Le monde qui s'oppose à nous est un monde marqué par un capitalisme à la fois triomphant, écrasant et en difficultés : impérialisme et néocolonialisme détruisent les sociétés humaines au plus profond d'elles-mêmes, et nient le droit des hommes à vivre et à travailler au pays. L'argent est un vecteur de dissolution des liens entre les hommes, de dissolution de la mémoire et de la langue, comme de la culture. La société des individus déracinés et incultes est celle produite par l'état présent du capitalisme, et pas le modèle désirable que l'idéologie fonctionnelle veut vendre. La tolérance et le pluralisme dont elle martèle la propagande en armant des fanatiques ailleurs sont le voile d'un principe d'ordre unique, qui est l'acharnement du Capital à se reproduire.

Les réprouvés doivent rejoindre les poètes pour défendre les mots de la tribu, et le droit de la tribu d'ordonner des mondes vivables, sanctuarisant par la loi la solidarité communautaire et les libertés humaines au delà de toute récupération et de toute morale. La liberté du Citoyen doit à nouveau être garantie absolument, car elle n'est fondée sur rien. L'enserrement actuel du monde par le Capital, de plus en plus dérivant, doit trouver une fin dans la reconquête de la Cité comme maison commune des humains, garantissant et surplombant leurs droits individuels.

Ainsi la liberté ne peut être atteinte par la volonté de garantir la sécurité, car la seule limite absolue de la sécurité est l'immobilité et la mort. Il n'y a aucune légitimité morale à créer des exceptions à la loi. La morale est l'expression de l'arbitraire des dominants, la loi est dépositaire de la volonté générale de la Nation.

Nés après la mort des Lumières, nous devons chercher à nouveau un modèle politique de l'homme. Nés dans la misère symbolique de la société post-culturelle, nous devons chercher une renaissance du pouvoir de poser des mondes beaux et grands. Nés sous le talon de fer du Capitalisme, nous devons trouver la voie d'un socialisme authentique, dévoilant la sociale-démocratie moderne comme pure gestion du modèle libéral. C'est l'avenir qui importe – nous laissons définitivement la nostalgie et la révision indéfinie du passé aux morts. Ce que nous savons de notre pays nous suffit pour avancer – il est vital désormais de savoir avancer.

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